La Foi difficile by Jean Guéhenno

Auteur:Jean Guéhenno [Guéhenno, Jean]
La langue: fra
Format: epub
Publié: 0101-01-01T00:00:00+00:00

J'ai voulu la paix de toute mon âme pendant ces vingt années. Dès 1925, il nous fallut bien revenir de la conviction naïveque nous avions eue d'avoir fait la dernière des guerres. Du moins n'ai-je jamais cessé de penser et de crier qu'une nouvelle guerre n'était pas fatale. L'histoire nous a donné tort, mais c'est l'histoire qui a eu tort, l'histoire qui a été bête et folle. Mais on voudrait s'expliquer cette bêtise et cette folie.

Si nous avons commis de grandes erreurs, nous avons eu de grandes excuses. Je dis « nous » et me hâte de rejoindre le camp de l'imbécillité générale, car enfin nous sommes tous ensemble les auteurs de ces sottises. Je suis assez profondément démocrate pour me sentir responsable de ce qu'a voulu, fait ou laissé faire la volonté générale.

C'était une rareté autrefois d'être citoyen du monde. On en a fait un grand mérite pendant des siècles à un auteur comique latin qui, peut-être, n'en avait pas pensé si long. Nihil humani a me alienum puto. Nous le sommes désormais sans le vouloir, sans le savoir, et sans y avoir été du tout préparés. Nos responsabilités s'étendent tous les jours. Il nous faudrait une présence d'esprit merveilleuse, une information et un savoir plus merveilleux encore pour mesurer exactement l'importance de tout événement qui se passe au monde et qui, en effet, nous concerne. Comment, dans ces années que j'évoque, aurions-nous mesuré l'importancedu Plan Dawes, ou du Plan Young, ou du prix des cigarettes en Allemagne, et du rappel qui était fait à tout Allemand de sa défaite et de sa servitude, chaque fois qu'il en achetait, parce qu'il manquait toujours une cigarette au paquet, la cigarette du Plan Young, justement celle qui représentait la part de ce que l'Allemagne, par traité, nous devait, et que nous, les victorieux, nous fumions, croyait-il, à sa place et à ses dépens ? Bonnement, nous ne pouvions pas penser à tout. Pouvions-nous imaginer de telles ruses des fabricateurs de haine? Nous avions assez à faire à gagner notre vie et nos propres cigarettes. Nous avons seulement subi les enchaînements de l'histoire, en un moment où sa rapidité même eût exigé de nous une conscience toute neuve et toute vive.

L'insuffisance des hommes d'État se voyait mieux encore. Acoquinés à résoudre les petites difficultés quotidiennes, ils s'en tiraient par la démagogie, jouaient notre grand nombre et notre médiocrité, chaque fois que cela était nécessaire, tous d'accord, de la droite à la gauche, pour fermer la bouche de l'électeur en lui jetant à manger un petit gâteau. « L'ancien combattant » leur a beaucoup servi. Ils faisaient avec lui l'appoint des voix utiles à leur réélection. Des rubans,une petite pension suffisaient. Ils ont changé l'âme de tout le peuple pitoyable des tranchées et l'ont insidieusement conduite à se trahir et, à la place d'une grande douleur fraternelle, ont réinstallé la vanité imbécile qui devait permettre que tout recommençât. Car ils n'aiment pas qu'on limite leurs moyens, et ce n'est pas rien de pouvoir utiliser la souffrance et le sang des autres.

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